De la fiction comme mode opératoire

Depuis mars 2020 l’Éducation Nationale, et en premier lieu son ministre, a fait semblant.

On a fait semblant d’être prêts.

On a fait semblant qu’on pouvait assurer une continuité pédagogique dans ces conditions.

On a fait semblant que le problème c’était des hackers étrangers et non nos infrastructures informatiques insuffisantes.

On a fait semblant qu’il était possible pour les parents de télétravailler tout en assurant la continuité pédagogique.

On a fait semblant, tant qu’on l’a pu, que les examens auraient lieu dans les conditions habituelles.

On a fait semblant que la continuité pédagogique dans ces conditions n’aggravait pas fortement les inégalités.

On a fait semblant que l’on pourrait en quelques mois rattraper un retard dont on n’a jamais su par rapport à quoi il était fixé.

On a fait semblant que la rentrée serait normale.

On a fait semblant que les écoles ne jouaient pas de rôle dans la propagation de l’épidémie.

On a fait semblant que l’employeur fournirait aux personnels des masques de qualité et en nombre suffisant dans les délais.

On a fait semblant que le protocole sanitaire était applicable et suffisant, alors qu’il n’était ni l’un ni l’autre.

On a fait semblant, tant qu’on l’a pu, que les enfants ne pouvaient pas transmettre le virus et qu’ils n’avaient pas besoin de masques.

On a fait semblant, tant qu’on l’a pu, que la 2e vague ne devait rien changer à notre organisation scolaire.

On a fait semblant de renforcer le protocole.

On a fait semblant qu’il n’était pas nécessaire de revoir l’organisation des cours en collège.

On a fait semblant, encore, que les écoles ne jouaient pas de rôle dans la propagation de l’épidémie.

On a fait semblant de renforcer le protocole.

On a fait semblant, tant qu’on l’a pu, que les épreuves de spécialité du bac auraient lieu en mars.

On a fait semblant, tant qu’on l’a pu, que la 3e vague ne devait rien changer à notre organisation scolaire.

On a fait semblant de renforcer le protocole.

On a fait semblant que les personnels de l’Education Nationale au contact des élèves allaient être vaccinés en priorité au début du printemps.

On a fait semblant que fermer les écoles pour quelques semaines équivalait à les fermer pour des mois, alors que pourtant on les ferme chaque année 16 semaines.

On a fait semblant que notre situation était comparable à celle d’élèves californiens privés d’école depuis un an. On a fait semblant de renforcer le protocole.

On a fait semblant, encore, qu’on était prêts.

On a fait semblant, encore, que le problème c’était des hackers étrangers et non nos infrastructures informatiques insuffisantes.

On a fait semblant, encore, qu’on pouvait assurer une continuité pédagogique dans ces conditions.

 

On n’a jamais été capables de dire :  « STOP ! Arrêtons-nous un peu. Réfléchissons à pourquoi et comment nous devons nous adapter, pour mieux repartir. »

Depuis le début de la crise, ce qui semble obséder le ministère, c’est encore et toujours de sauver les apparences. D’assurer, vaille que vaille, un fonctionnement aussi proche du fonctionnement normal, lui-même bien peu remis en question. Quel sera le coût pour les élèves qui n’auront pu assister aux cours ? Fera-t-on semblant de s’en soucier ?

Les personnels, eux, n’ont pas fait semblant ; n’ont pas ménagé leurs efforts ; ont pris des risques, des coups parfois ; ont couru dans tous les sens pour colmater les brèches et bricoler pour leurs élèves des radeaux de fortune dans la tempête.

On fait semblant que ce que l’on doit à la société, à la nation, ce sont 36 semaines de cours coûte que coûte, des programmes scolaires finis coûte que coûte, des examens qui se déroulent normalement coûte que coûte.

Pourtant ce que nous devons ce n’est pas une quantité de service public. C’est une qualité de service public.

Ce que nous devons, à chaque enfant qui grandit dans ce pays, c’est un service public qui par l’éducation permette d’améliorer notre société et notre vie à toutes et tous. En temps de pandémie cela suppose de pouvoir se poser ces questions : de quoi nos enfants ont-ils et elles besoin actuellement ? De quoi notre société a-t-elle besoin de la part de son service public d’éducation ? Comment nous adaptons-nous ?

Alors que les élèves de ce pays vont commencer deux semaines de vacances confinées, il n’y a qu’une chose que l’on puisse souhaiter pour la rentrée : que l’on arrête de faire semblant.