A l'université du Havre, le travail à distance a commencé juste avant le confinement, voici dans quelles conditions :
La première semaine de mars, nous étions informés que l’université risquait de devoir mettre en place le travail à distance… on nous prévenait alors du risque de pandémie de la Covid-19. Nous devions respecter au sein de nos locaux quelques gestes barrières tout en nous assurant que le port du masque était inutile… chacun sait que les événements ont confirmé la distanciation et renforcer les mesures de sécurité. Le 12 mars, nous pouvions nous assurer si nos étudiants disposaient d’un équipement pouvant leur garantir un contact à distance.
Les premiers cours en distanciel ont pu commencer dès le 16 mars, un jour avant le confinement.
Nous étions, enseignants et chercheurs, invités à récupérer rapidement, le 16 et le 17 au matin, les effets nécessaires qui seraient présents dans nos bureaux, il fallait se préparer à une période qu’on disait pouvoir durer au moins un mois. Le choix des modes de communication ne furent pas franchement adaptés au début, on ne nous proposait en local que l’ENT… ni audio, ni vidéo… beaucoup d’entre nous se sont alors orientés vers des outils privés et hors du système éducatif, soit ceux que nous pouvions connaître, soit ceux que nos étudiants pouvaient aussi nous suggérér. C’est ainsi que nombre de professeurs ont découvert une facette de l’univers du « gaming » suggéré par les jeunes : Discord. Le logiciel offrait une bonne bande passante, peu de ruptures, et la possibilité de participer en groupe… alors que d’autres outils pouvaient refuser des classes de plus de dix élèves…
Le Centre de Ressources Informatique a été un peu débordé la première quinzaine, ne sachant pas toujours apporter des réponses aux sollicitations. Un prêt de matériel a été mis en place pour les étudiants et les personnels qui en faisaient la demande. Evidemment, pour la bande passante à domicile, cela dépassait leur domaine de compétence. Aussi, certains étudiants, mais aussi quelques enseignants, ont souffert d’une « zone grise » voire blanche. Par ailleurs, assez rapidement, une cellule d’appui à la pédagogie constituée des ingénieurs pédagogiques et de personnels de la bibliothèque universitaire a proposé son aide en ligne puis à mis en place des formations à distance, avec BBB entre autre. Les outils proposés n’étant pas toujours adaptés, la bande passante pas toujours suffisante, quelques habitudes déjà prises, la continuité pédagogique s’est faite avec beaucoup d’autonomie et d’initiatives tantôt personnelles, tantôt au sein de filières. Bref, les enseignants ont fait au mieux, avec leurs moyens, afin de garder le contact avec les étudiants et pouvoir diffuser un programme qui dès le début s’annonçait difficile à tenir.
Sur la situation des enseignants, leur cadre de travail, leur moral, leurs contraintes personnelles et familiales, pas grand chose à dire. Si l’administration a su nous informer assez vite comment s’organisaient les agents, combien étaient disponibles, quel était leur équipement, aucune information n’a été collectée auprès des enseignants et enseignants-chercheurs. Une absence de suivi qui nous interroge encore. Sur l’état de santé ou de moral des personnels, interrogée par nos soins, l’administration a été claire : ils ne prendraient en compte que les personnes qui se signaleraient. Il appartenait donc individuellement aux responsables de prendre des nouvelles de leurs collègues, ce qui a été fait – ou pas.
Si au niveau de l’administration, cela a plutôt bien fonctionné, nous n’avons à ce jour aucun retour sur la façon dont ont vécu les collègues enseignants, seul le bouche à oreille, quelques contacts, permettent de penser que pour certains cela a été difficile, pour d’autres la situation a été bien gérée.
La fin d’année arrive et trois soucis apparaissent : – les examens et jurys, – le retour sur site, – la rentrée de septembre.
Pour les examens et jurys, un peu comme partout, les contrôles ont été faits soit via des questionnaires sur l’ENT, des projets à rendre, quelques oraux en vidéo. Nous ne saurons peut-être jamais quelle a été l’amplitude de l’entraide entre pairs en cette période… on peut y voir une dimension « sociabilisante »… finalement excluant les étudiants les plus isolés dans tous les sens du terme. Certains modules ont été « neutralisés » car ne pouvant pas être évalués normalement, on peut penser aux TP sur paillasse par exemple.
Nous le savions personnellement : les enseignants aiment leur métier et celui-ci ne se limite pas à diffuser sur un canal un savoir. Les interactions sociales avec les étudiants mais aussi entre collègues sont très importantes. Aussi, nous ne comprenons pas que nous ne puissions pas revenir dans nos bureaux, dans nos laboratoires. La présidence n’admet d’autoriser le retour sur place qu’après avoir justifié une absolue nécessité.
Notons aussi que si on nous parle de continuité administrative et de continuité pédagogique, personne n’a jamais évoqué la continuité scientifique ! Nos travaux de recherche, qui comme les autres et parfois plus qu’ailleurs, demandent des interactions et un cadre de travail spécifiques, ont été mis à mal. Sans compter que la diffusion qui se fait en allant à la rencontre d’autres collègues, y compris dans des conférences, a été mis à l’arrêt. Ainsi, ce confinement forcé, avec une énergie déployée pour assurer la continuité pédagogique, n’a pas facilité cette dimension fondamentale de notre métier.
Nous ne savons pas si nous pourrons réintégrer notre environnement de travail avant la rentrée de septembre, et cette rentrée est encore un gros point d’interrogation. On nous dit qu’il est possible qu’elle ne sera que partielle, hybride aussi ! On nous a demandé à réfléchir sur des salles de cours où les distances de sécurité seront garanties. Cela signifie que seuls 14 étudiants pourraient être accueillis là où nous pouvions en avoir 30… alors soit certains resteront chez eux, soit on partagera les emplois du temps pour dupliquer les cours, soit on utilisera deux salles contiguës pour tout un groupe… nous réfléchissons à savoir comment partager l’enseignant entre ces salles : on nous demande de faire preuve d’imagination. Une chose est quasi assurée : il ne pourra pas y avoir de cours magistraux en amphis.
Nous nous inquiétons beaucoup des primo-arrivants, ces jeunes bacheliers qui en plus d’avoir fini leur année de lycée confinés, auront besoin d’un encadrement rassurant pour passer le cap ! Déjà que certains auront sans doute été fragilisés, le seront resté, mais si nous ne pouvons les rencontrer, les accompagner, nous craignons une « hécatombe » ! Nous avons déjà fait le choix qu’ils seront prioritaires pour l’accueil, mais comment garder motivés les plus anciens étudiants, ceux qui passent dans l’année n+1 avec parfois une validation de l’année « complaisante » sans avoir trop l’assurance qu’il n’y a pas quelque lacunes (sic) ? Nous nous interrogeons aussi beaucoup sur l’effort considérable qui serait nécessaire si de front nous devons faire des cours présentiels et d’autres distanciels, et ce dans des conditions où depuis des années nous alertons sur le déficit criant en moyens humains.
Evidemment, tous les enseignants-chercheurs n’ont pas un bureau bien séparé et bien équipé à leurs domiciles, certains ont même le mauvais goût d’avoir des enfants voire d’être des enseignantes-chercheuses… il faudra faire un bilan des inégalités qui ont sans conteste touché aussi notre profession.